Premier tome d'une série intitulée "Lunardente", "La Cité Noire" bénéficie d'une magnifique couverture et d'une présentation qui donnent envie de lire ce roman : "Une cité régie par des sorciers aux pouvoirs déclinants. Une cité où toutes les sept nuits, lorsque les lunes se confondent, la mort hante les rues et emporte les défunts. Une cité d’aventures épiques, d’amours et de mort. Quel est donc le mystère de la Cité Noire ? Perdus au milieu de ses complots, Ao, Perceron et Kroll parviendront-ils à survivre ?" La lecture s'annonce passionnante, d'autant que les histoires à la fois médiévales et urbaines m'attirent particulièrement. Le premier chapitre remplit mes espérances, magnifiquement écrit, glauque et dépressif à souhait, introduisant une terrifiante créature, la Fossoyeuse, qui parcoure les rues de la ville toutes les sept nuits, lorsque les lunes se confondent. Tout cela promet de grands moments. J'attaque, fébrile, le deuxième chapitre et… flop.
"Flop" puisque, déjà, le style accuse une baisse de qualité, même s'il demeure correct. "Flop" aussi parce que nous ne sommes plus dans la cité mais à la campagne, où j'assiste aux déboires d'un semi-ogre nommé Kroll. Finalement, il gagne dès le chapitre suivant la ville de Kan-Pang (pourquoi cette appellation à consonance chinoise ?), alias "La Cité Noire", où il espère trouver un moyen magique de guérir sa sœur humaine et adoptive Ao car le malheureux l'a rendue aveugle lors d'un accident nimbé de mystères dont personne n'a la bonne version. Mais puisque rien n'est simple en ce bas monde, il doit d'abord gagner argent et respectabilité en travaillant. Il intègre pour cela un groupe d'égoutiers un peu malfrats sur les bords qui se reconvertiront en pilleurs, activité lucrative mais dangereuse, qui consiste à ramener les trésors des sous-sols de la cité. Car, un tremblement de terre l'a dévastée un siècle auparavant et de récents mouvements ont ouvert des passages vers les richesses de l'ancienne ville engloutie. Je vous livre l'explication officielle sans avoir rien compris du concept tant celui-ci m'a paru farfelu. Cela dit, je ne m'attendais pas vraiment à parcourir des souterrains labyrinthiques, bien qu'il s'agisse des phases les plus captivantes du roman.
Le deuxième chapitre aborde un autre personnage, Perceron, comédien dont la maladie a emporté son fils et qu'un vol a conduit dans une geôle sordide. Je découvre après une longue réflexion que ce personnage est celui du prologue. Le rapprochement n'était pas si évident tant ils sont apparus différents, voire aux antipodes. Mais quelques indices m'ont finalement orienté dans la bonne direction. Toutefois, si l'auteur m'avait épargné cet effort intellectuel, je ne lui en aurais pas voulu. Une fois sorti de prison, Perceron se reconvertit en espion, et accessoirement en imposteur, afin, là aussi, de gagner argent et respectabilité.
Les chapitres Kroll et Perceron s'enchaînent ainsi, ou parfois se succèdent, afin de développer l'une et l'autre histoire, sans une réelle rigueur d'alternance. L'auteur s' autorise même quelques pages pour mettre en scène un assassinat. Puis voilà qu'Ao s'immisce dans le roman pour un retour champêtre à la campagne. Nouveau détour ensuite par une famille d'aristocrates en guise de présentation avant la visite de Perceron. La logique de cette organisation m'a échappé. L'auteur déroule une intrigue, en développe une seconde pour revenir à la première et soudain s'envole ailleurs nous montrer telle ou telle situation. Peu originales, peu intéressantes malgré une écriture sinistre, ces digressions à répétition alourdissent la lecture et parasitent les histoires principales.
Celles-ci s'articulent donc autour de deux personnages. La partie "Perceron" enchaîne les péripéties loufoques, à l'image de l'énergumène, bien que, sous couvert de nous divertir, elle nous initie en réalité aux affaires politiques de la cité, ce qui s'avère pesant. De son côté, Kroll est aussi charismatique qu'une huître, mais ses explorations, et l'action qui en découle, sont les plus passionnantes, et de loin. Pourtant, elles ne s'imposent que dans le dernier tiers du roman et sont ponctuées d'interruptions malvenues. Si la figure de Perceron est plus colorée, plus séduisante, son aventure est desservie par une intrigue faiblarde (son objectif s'arrête à devenir quelqu'un), voire facile (on lui octroie un titre prestigieux après l'avoir usurpé !). Sa prédominance dans les deux premiers tiers du roman alors qu'il disparaît ensuite me conduit à penser que le but de ses pérégrinations est d'abord descriptif, afin de préparer l'issue de l'aventure de Kroll. Quant à la terrifiante Fossoyeuse, elle est évoquée, approchée, mais aussitôt fuie sans que les personnages la croisent. Pourtant, j'avais acheté ce livre un peu pour elle.
"La Cité Noire" est le fruit d'un cheminement sur CoCyclics et en effet, j'avais l'impression de lire l'un de ces manuscrits de forum d'écriture : un résultat bancal, avec de bonnes idées néanmoins mal exploitées, de vraies qualités cependant pas abouties, une structure déséquilibrée et des choix discutables. Ce qui est acceptable pour un bêta-lecteur ne le sera pas pour un quidam qui a acheté et lu ce pavé de 587 pages, qui ne connaît pas l'auteur et qui n'a pas participé ou assisté à la conception de son récit. L'éditeur n'a pas assez retravaillé le matériau issu du forum, qui pourtant a déjà dû faire l'objet d'un labeur conséquent. Ceci explique peut-être cela, car remédier à la faiblesse du personnage de Kroll et de l'intrigue de Perceron, et aux fréquentes cassures du rythme, imposait de tout remettre en chantier.
Ce roman souffre en outre d'ouvrir une trilogie. Le travers couramment rencontré sur ces forums d'écriture est d'exposer avec le numéro un, de développer dans le deux et de conclure à l'occasion du trois, alors que chaque opus devrait se plier à ce schéma. La présentation si alléchante concerne en fait toute la série, et non ce tome en particulier. D'où ma frustration à la lecture de la fin. De nombreuses portes sont ouvertes, peu sont refermées, et la dernière, qui annonce la suite, prend la direction de tractations politiques à n'en plus finir. Malheureusement, il s'agissait là de l'aspect le moins percutant du roman.