Arthamios – Tome 1 : Chronique d'un esprit vagabond

de Luc Van Lerberghe 




 
Mon épouse m'avait parlé à l'époque d'un auteur de fantasy officiant dans le Nord qui présentait un spectacle au Théâtre Équestre de Wattrelos sur le thème de son roman. J'entamais alors une nouvelle correction de mon manuscrit "La Source d'Éternité" qui serait édité deux ans plus tard. Curieux, et désireux de lire de la fantasy française, je commande en 2012 ce tome 1 "Chroniques d'un esprit vagabond" de la trilogie d'Arthamios, au titre et au résumé engageants. 
 
Je reçois donc mon colis intégrant le roman en question (outre "La Cité Noire" et "Néréliath"). J'ouvre, fébrile, le recueil, j'entame ma lecture et là, le choc : le style est effroyable. Il est pauvre, basique, souvent maladroit, mais pire que tout, je me demande comment un éditeur a pu laisser passer autant de répétitions. Le premier paragraphe est un modèle du genre : 
" La chute fut longue et l'impact violent. Il traversa l'air et les feuilles. Son corps, tel un pantin qu'aucun fil ne retenait plus, virevoltait au gré des branches qu'il rencontrait. Nul doute qu'il serait mort si ses jambes n'avaient rencontré en premier un sol humide, recouvert d'un épais tapis de feuilles". 
 
Voici une description généreuse en verbes faibles, dans laquelle l'auteur s'applique à énumérer les particularités d'êtres fantastiques : 
"Et puis il y avait les Elfiens. Leur peau ressemblait à l'écorce des arbres, ridée à souhait. La couleur n'était pas la même d'un individu à un autre, mais comme les plus bruns étaient aussi les plus grands, il se dit qu'ils étaient aussi les plus vieux. Ils étaient pour la plupart, plus grands que lui, mais bien moins que Rahauric. Certains se déplaçaient à leur côté, d'autres les suivaient en passant de branche en branche alors que plusieurs lévitaient sur les planques de bois au-dessus d'eux. Leur corps était étonnant. Ils n'avaient tout d'abord pas de cou, de sorte que leur visage n'était que le prolongement d'un buste rond et long comme une bûche. Ensuite, ils possédaient jambes et bras, mais là où il y a genoux et coudes chez l'homme se trouvait une articulation en triptyque. Les deux avant-membres d'égale longueur se terminaient par des sortes de longues excroissances ressemblant à des lianes capables de se mouvoir comme des serpents. Les Elfiens qui les suivaient perchés, passaient ainsi d'arbre en arbre avec une très grande facilité grâce à ces mains capables d'attraper une branche dans des lassos de doigts". (page 250) 
 
Exemple d'une scène de progression, ponctuée par "maintenant" pour marquer le passage d'un lieu à un autre, évidemment répété : 
"Le groupe avançait péniblement maintenant. Les arbres du sol étaient moins nombreux, ceux flottants l'étaient plus. De hautes herbes, de grandes fougères, certaines aux piquants redoutables abondaient maintenant et rendaient leur marche laborieuse". (page 259) 
 
Quand le récit se livre à une introspection, mieux vaut s'accrocher pour comprendre : 
"Jydine prit un coup au ventre en entendant ces mots. Elle se savait piégée par l'inconnu. Sa situation était intenable. Ne pas répondre signifiait les foudres de Rachel et répondre était synonyme de trahison. D'instinct, la stratégie d'attaque lui sembla la meilleure. Bien qu'elle sache devoir le respect à son interlocuteur, elle ne devait sans doute pas lui obéir, à moins qu'il soit légitimé à donner des ordres. Elle contre-attaqua donc immédiatement." (page 310) 
 
Et cette scène qui s'avère pour le moins laborieuse, où le verbe "suivre" se répète quatre fois en quelques lignes : 
"Couché dans l'herbe fraîche, à l'abri d'un saule pleureur, Rahauric se tenait caché et observait Etang. Il mangeait lorsque les Sils quittèrent la cité au trot. Aussitôt sur ses jambes, il les suivit du regard et se lança sur leurs traces. Suivre des cavaliers allant à faible allure était chose aisée pour lui. Son principal problème résidait dans le fait de ne pas se faire repérer. Heureusement, il n'avait pas besoin de suivre de visu les cavaliers. Il se tenait donc à distance respectable. Les Sils, quant à eux, ne se préoccupaient pas du géant. Ils savaient, bien entendu, qu'il le suivait probablement. Secrètement, Grigoric espérait qu'il interviendrait". (page 134) 
Vous aurez noté comme moi qu'au lieu de décrire cette filature, l'auteur nous assomme de lieux communs (si l'autre va lentement, je le suis facilement ; quand je suis quelqu'un, je ne dois pas me faire repérer). Il va d'ailleurs, faute de parvenir à trancher, jusqu'à se contredire sur l'attitude des cavaliers, puisque la certitude "ils savaient, bien entendu, qu'il le(s) suivait" est remise en cause par le doute "probablement" dans la même phrase. 
 
La description des méchants, les Sils, qui suit (décidément…) est aussi un exemple de ce qu'il faut à tout prix éviter : 
"Les Sils étaient une élite parmi les soldats. Ils n'avaient jamais perdu de combats, quel que soit l'adversaire. Grigoric était devenu le lieutenant d'une unité de vingt Sils, non parce qu'il savait commander, mais parce qu'il était le meilleur d'entre eux au combat. C'est même lors d'un combat singulier avec son lieutenant qu'il avait gagné ce grade. Son commandant, Drednor, était réputé parmi les Sils pour avoir été celui qui avait, à lui seul, vaincu une centaine de guerriers rebelles lors du soulèvement d'une des régions du sud de l'Empire. C'était un guerrier accompli que Grigoric défierait peut-être un jour. Aniston était le champion des Sils. Un maître de guerre. Lors d'un combat d'entraînement, Grigoric l'avait vu mettre à terre cinq commandants. Le général Sils restait toujours aux côtés de Salarios. C'était son garde du corps. Les Sils étaient craints partout dans le royaume et au-delà. Leur nom était synonyme de tueries, de tortures, d'exactions." (pages 134 et 135) 
Outre d'assister à un festival de répétition, l'auteur se contente de nous énumérer les hauts faits de plusieurs gradés avec cependant un début de logique (du lieutenant au général). 
 
Le récit enchaîne avec une autre description assez spéciale : 
"Chaque Sils portait une armure noire qui recouvrait les muscles et articulations. Légères, solides et souples à la fois, elles étaient une deuxième peau pour les Sils qui, grâce à elles, ne craignaient ni les flèches ni les lances. Salarios en personne, disait-on, fabriquait ces armures. L'armement était composé d'une épée, longue comme le bras. Elle possédait un manche à deux mains et une garde ronde en métal. Leur arme principale était un bâton en forme de « r », confectionné à partir d'un alliage de métal et de coq. C'étaient des armes magiques, fruits de sorts si complexes qu'elles pouvaient être utilisées par des non-mages. Elles avaient le pouvoir de faire éclore dans le corps même du sujet visé un morceau de métal incandescent qui explosait à peine apparu dans celui-ci. La mort était souvent immédiate quoique certains aient pu survivre. Ceux-là gardaient des stigmates terribles sur leurs membres lorsqu'ils n'étaient pas purement et simplement arrachés. Les Sils étaient donc des guerriers accomplis, aidés par la magie de leur empereur. Nul n'osait se mettre en travers de leur chemin." (page 135) 
 
Tout en sachant que ce passage est la redite d'une description figurant 35 pages en amont : 
"Les cinq autres étaient des soldats. Ils portaient une armure de coq. Chaque pièce recouvrait une partie sensible du corps et était posée sur le tissu noir de l'habit militaire. Les armures brillaient et semblaient légères. Ils portaient à leur côté une épée longue d'un bon mètre qui pendait de la garde ainsi qu'un étrange bâton complexe dans les détails de sa forme, mais qui globalement représentait un « r » dont le trait supérieur serait fortement allongé. Chacun de ces hommes mesurait deux mètres. La dernière pièce de leur armure était un casque fait dans la même matière que le reste de leur armure, de sorte que l'on pouvait distinguer de leurs visages que les yeux, le nez et la bouche." (page 100) 
L'auteur commence par décrire l'équipement, donc l'armure, se consacre brièvement aux armes, nous fend d'une petite phrase venue de nulle part sur la taille des individus puis revient à l'armure dont il n'a pas fini d'expliquer sa composition. Hallucinant. 
 
À travers cette armure et ce bâton, l'auteur s'applique à nous décrire un gilet pare-balles et un fusil avec le dessein d'induire en erreur le lecteur, de sorte que la véritable nature de cet équipement, et donc du héros et du méchant, ne soit révélée qu'à la fin. 
La confusion est toutefois savamment entretenue, d'où ce passage guerrier incompréhensible : 
"De partout, des détonations partirent. Jydyne se colla à Amania et la protégea de son aura. Il était temps, car une pluie de métal s'abattait sur eux. Les détonations partaient des arbres et du parterre. Arthamios, tout d'abord sous le choc, sortit de sa torpeur et plongea en avant. Il sauta de la muraille et lévita jusqu'au sol en déclenchant ses éclairs d'énergie, foudroyant quelques Sils avant d'atterrir. À peine les pieds au sol, il reçut une volée d'acier. Les Sils possédaient des bâtons ensorcelés qui faisaient jaillir cette pluie. D'un mouvement plus rapide que l'œil, il entama une course de côté tout en déclenchant ses éclairs de la main droite alors que ses doigts de la main gauche tissaient frénétiquement pour maintenir le bouclier de défense magique. Les Sils tombèrent un à un. La pluie de métal cessa." (pages 473 et 474) 
Et plus loin : "Les détonations puis la pluie de métal s'abattirent sur lui." (page 474) En quoi les dénotations s'abattent-elles sur lui ? Mystère. 
Et à la page suivante : "Huit Sils s'étaient regroupés, leur bâton magique à la main" et "Au détour d'un tas de pierres, il dut éviter une salve magique". (page 475) 
Quand le fusil est couramment nommé "bâton de feu" ou "bâton magique", quand l'univers lui-même baigne dans la magie, dès que je lis qu'une pluie de métal s'abat sur l'ennemi, je comprends qu'un sortilège fait littéralement pleuvoir du métal, pas que les personnages essuient le tir soutenu d'une mitrailleuse.  
 
J'arrête de m'acharner sur le style et je l'affirme une bonne fois pour toutes : ce roman est affreusement écrit. Les fautes, les oublis, demeurent dans l'ordre de l'acceptable, mais les répétitions sont légion, et trahissent un défaut de vocabulaire, de travail et de réflexion. La maladresse de nombreuses tournures, la faiblesse des descriptions, la multiplication des lieux communs et les résumés hâtifs de passages vivants vont dans le sens d'une écriture trop peu approfondie. 
J'ai pourtant trouvé cette citation de la revue Mythologica : " La plume de Luc Van Lerberghe est délicieuse avec une maîtrise parfaite des descriptions, mais surtout des dialogues d’une finesse rare". Allez comprendre… 
 
Je n'accuse pas l'auteur qui a fait ce qu'il pouvait. Nous ne sommes pas tous des Balzac en puissance. Et la fantasy n'est pas particulièrement exigeante dans ce domaine. Je reproche à l'éditeur de ne pas avoir résolu ces problèmes stylistiques. Toutefois, un tel pavé de 633 pages, de surcroît premier roman, est un matériau difficile à manipuler. Corriger en profondeur un récit moitié moins consistant est naturellement plus aisé. Ici, réécrire correctement autant de passages s'avérait titanesque, et j'en sais quelque chose pour l'avoir fait. 
 
Enchaînons avec l'aspect positif de l'ouvrage. Le contexte du roman est dense et l'auteur a réellement cherché à élaborer un monde nouveau peuplé de créatures inhabituelles et de l'agrémenter de lieux insolites. Le scénario a cette intelligence de régulièrement nous amener à nous déplacer, si bien que cet univers se dévoile petit à petit sans nous brusquer. Le héros est amnésique, ce qui nous conduit à prendre nos marques en sa compagnie. 
 
L'action est simple, et les enjeux limpides. Un homme apparaît dans un monde inconnu et fantastique et l'empereur, pressentant le danger qu'il représente, cherche à l'éliminer. Cet antagonisme est alimenté tout au long du roman, et n'en déviera pas. Le héros, diminué au début, subit, fuit, apprend de ses ennemis, de cet univers nouveau et de lui-même, puis parvient à retourner la situation et à résister. L'intrigue obéit à une évolution logique, en crescendo, vers une fin qui clôture cette première aventure en révélant l'origine du héros et de l'empereur, et ouvre sur une suite. 
 
La psychologie des personnages est malheureusement trop courte. Il y a cette facilité, sans doute propre à l'Heroic Fantasy, où les gentils sont naturellement copains, et à l'opposé les méchants nécessairement sadiques, et notamment entre eux. Le géant aide ainsi le héros sans véritable raison outre de secourir un blessé. De son côté, le magicien Aqualis les accueille et l'initie à la magie tout en sachant qu'il sera puni, ce qui le poussera à les accompagner dans la suite de leur aventure. Il l'expliquera avec ces mots : "Je ne t'aide que parce que cela m'est utile. Je suis magicien et j'ai le devoir de découvrir qui tu es et d'où tu viens. […] Et puis […], il y a fort longtemps que je n'ai pas eu d'apprenti" (page 114). Il ajoutera à la page 273 sans éclaircir pour autant ses motivations : "J'ai accueilli ce jeune homme par pur intérêt personnel, je l'avoue. Je suis reclus, prisonnier depuis tant de temps. Il a amené de la fraîcheur dans mes journées. Que dis-je, de la fraîcheur ! Non, il a amené la vie tout simplement ! Lorsque j'ai pris cette décision, oui, je le répète, j'ai agi aussi pour moi-même". De passage dans un château prétendument allié, le héros est emprisonné, puis libéré par une jeune fille qui tombe miraculeusement amoureuse de lui. Les décisions des personnages ne trouvent que trop souvent leur légitimité dans la volonté de l'auteur. Le géant ira par exemple tuer des soldats ennemis (pages 139 à 141), mettant en péril sa vie et attirant sur le héros la vindicte du méchant, sans véritable raison puisque la rescapée se trouve avec lui. D'ailleurs, le motif de sa présence n'est pas bien net. À la question du héros : "Pourquoi avoir envoyé Rahauric dans la forêt des ombres ?", le magicien répond ainsi : "Pour y chercher des indices de l'endroit d'où tu venais avant qu'il ne te trouve" (page 113). Dubitatif, le héros remarque : "Pourquoi fait-il cela ? Le voyage est long et, de toute manière, il a sans doute bien d'autres choses à faire". Et le magicien de lui expliquer : "Il le fait, car je lui ai demandé, tout d'abord. Ensuite, je crois qu'il t'aime bien. C'est un ours. Mais quand il s'attache, c'est du solide" (page 114). Le pourquoi du comment n'est en réalité jamais explicité. 
 
Finalement, le style gâche le plaisir de découvrir cet univers particulier et de suivre les péripéties d'un héros encore amoindri qui lutte contre un adversaire bien supérieur à lui. À cela s'ajoutent de nombreuses faiblesses, notamment la psychologie des personnages. Si celle-ci avait été davantage approfondie, les facilités du scénario auraient été gommées. Tout n'est pas non plus à blâmer, mais ce roman semble être raté dans la mesure où l'écriture saborde la crédibilité du fond, où la forme camoufle la pensée de l'auteur, lequel s'avère incapable de la restituer fidèlement et de la partager avec son lecteur. 

Publié par Alexandre BORDZAKIAN le 5 octobre 2017
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